USA |
Les Grooms aux USA – Festival Arts and Ideas – juin 2003 Spectacle «La tétralogie de 4 sous » et « La baronnade » Texte de Laurent Searle, tromboniste des Grooms
Au mois de juin 2003, les Etats-Unis d'Amérique attaquent et battent l'Irak. La France s'oppose à cette intervention militaire ce qui anime les tensions entre les deux pays. Le débat dérape, les opinons publiques se déchaînent. Les Français se montrent très français et les Américains très américains, c'est la « guéguerre » des peuples... C'est donc dans ce climat que les Grooms effectuent un voyage « en terrain adverse » au mois de juin 2003 lors du festival « Arts and Ideas » de Newhaven (Connecticut). Ce festival est un des rares en Amérique du Nord à essayer de programmer des spectacles de rue de qualité et effectue un travail de pionnier. Nous ne savons pas si de leur côté les organisateurs ont craint des réactions anti-françaises à notre égard mais force est de constater que notre séjour s'est particulièrement bien passé. Accueil, ambiance, sourires... Les Grooms ont découvert les Etats-unis comme sur une carte postale. Le texte qui suit parle de notre séjour à Newhaven en s'appuyant sur le contexte du moment. Il brocarde la cocarde ! Ceux qui penseront que la France sort grandie de ce récit n'auront rien compris. I hate U.S.A. Juin 2003, la fanfare des Grooms se rend à Newhaven, USA Université : Yale George Bush Junior y a séjourné Nous aussi ! Je déteste les Amériques Je hais le Dow Jones Le dollar qui monte Le dollar qui baisse Les sociétés américaines qui américanisent les sociétés françaises La bannière étoilée Les produits dérivés Le maillot des Chicago Bulls Les athlètes body- buildés Les super héros Le combat du bien contre le mal Je déteste les ventes d'armes La peine de mort Le droit de vie et de mort Je déteste cette manière insouciante de faire crever la terre entière De se l'approprier De se considérer comme le sommet de la planète avant l'Everest, avant le Mont Blanc et la Butte Montmartre. Je préfère L'Auvergne La Lozère Le trou du cul du monde Bref Je suis français Mon cerveau est gavé de clichés Et je fais partie de la Fanfare des Grooms qui tourne All over the world pour jouer ses spectacles et gagner sa croûte Et comme ça ne paye pas dans le Massif Central Nous avons vendu notre âme aux States Pour un séjour de huit jours Huit jours de trop. Du plus profond de mon cœur, je visais l'échec L'enfer J'attendais que l'Amérique de George le sanguinaire se montre odieuse avec les Grooms de France (Penser : la Fraaaannnce avec le ton approprié des gens fiers de leur pays) J'attendais que les States soient au niveau zéro du Canada Où, j'ai passé mon pire séjour de Groom J'aurais tellement aimé que les U.S.A. soient au-dessous de tout Dignes de leur réputation d'arrogants et d'ignorants, ignorantum, ignorantissimes Hélas, ce voyage s'est très bien déroulé Pour un Français (dire : Fraaannnçais), c'est rageant. L'Amérique de George Junior et de toute sa clique nous a fort bien accueillis La vie fut belle Bien logés Bien payés en dollar Bien applaudis à la fin des spectacles. Moi je dis : well done ! Bien élevés les Ricains Et qu'est-ce qu'on en fait de nos préjugés ! Une honte. Pour trouver de quoi s'énerver, il faut parler des visas Ah oui ! Les visas ! Trois mois de travail pour obtenir du bout des doigts le droit de fouler le sol U.S. Il faut remplir le formulaire en anglais Répondre aux questions sans faire de mauvais esprit Et surtout Fournir une photo 5X5 Format US En plein milieu de la banlieue de Paris (Pâââris !)... La photo ne doit pas déborder d'un quart de millimètre Le visage doit bien tout remplir l'espace mais pas trop Faut pas qu'il manque un cheveu Sinon on recommence tout Font chier les Ricains avec leur visa de merde et leur méfiance à la con Ils ne font aucun effort, sont méprisants et hautains Des Ricains comme on les aime qu'on peut critiquer à loisir Parfait. Une fois le visa obtenu, Prendre l'avion (rien à dire) et passer la douane Next ! Grand moment de bonheur En France, on passe la douane en troupeau, un joli paquet d'humains avec ceux qui se débrouillent toujours pour se faufiler sous les aisselles des voyageurs Aux Amériques, on est rangés, alignés, calibrés On porte tous le même nom : Next On est tous suspects Mais si l'on est honnête, tout bien comme il faut l'ami des Américains Rien à craindre, ça passe... J'ai un brie géant dans mon sac Un brie qu'on veut offrir à la chorale qui chantera avec nous lors de nos interventions de rue Un brie qui coule car il déteste l'avion Un brie totalement prohibé et qui n'a pas de visa Il est bien caché mon fromage, sauf l'odeur... Une odeur terrible, on dirait qu'il a déjà explosé ! Des effluves de brie flottent à tort et à travers Mon sac sent le brie Mes mains, mon passeport Tout l'aéroport sent le lait pourri... Avec tous les détecteurs de ceci cela dans lesquels il faut passer logiquement je suis foutu. Mais non, les détecteurs détectent tout sauf le fromage dans mes affaires ! Je passe. You're Welcome. Aux Amériques Avant la douane, on est douteux Après la douane, on est welcome Dans notre cas, c'est même incroyable comme on est welcome Très bonne organisation Bonne ambiance Relax Pas d'abus Bon hôtel Bien situé dans le centre juste en face des loges et de la salle de répétition Assez de temps pour digérer le décalage horaire Des réductions pour boire des bières au bar de l'hôtel Bonne bière. Donc nous voilà à Newhaven Ville américaine assez riche Limite old fashion Genre : J'ai bien connu mes ancêtres d'Angleterre mais c'est moi qui ai fait le béton Rustique et mastoc Avec des rues bien droites Tout en étendues kilométriques L'Université est construite en pierre de taille manière vieux château Du costaud Toute la ville est construite au carré Normal Un carré de verdure Un carré d'immeubles Un carré de verdure L'université. Les USA nous ont fait venir pour jouer notre Wagner Et faire les gus dans la rue pendant le Festival de je sais plus quoi. C'est un des principaux festivals du monde des U.S.A. de la ville de l'Université de Yale Drapeau américain partout Pour nous l'enjeu principal, c'était le Wagner « La Tétralogie » made in Groom que l'on joue sous une tente qui contient entre 150 et 300 spectateurs C'était la première du spectacle sur les terres de George Junior Et l'on espérait bien dégoter une sorte de tournée méga top monumentale Le jack pot « La Tétralogie » se déroule sous une tente qui représente une grotte Toile en polyane genre qui brûle pas Mâts et scènes circulaires en bois genre qui tombent en miettes avec du bois de midinette Toute la partie en bois a été reconstruite par les Américains Ce qui leur coûtait moins cher que de la faire venir de Pâââris Et là faut reconnaître que le contre-plaqué américain C'est costaud Solide C'est du béton On a joué dans un décor ultra bien réalisé Good job Bravo les gars. Comme on joue dans un espace clos, les commissions de sécurité lorgnent toujours vers nous avec délectation. Celle de Newhaven s'en est donnée à cœur joie. Le 1er soir, la commission, c'était un gros vieux black qui soulevait tout, vérifiait tout avec l'élégance propre aux gens qui ne devraient pas être là où ils sont. Pendant le spectacle il est resté en se baladant dans le décor, au milieu du public et même parmi nous... Euh sorry sir, but I have to play... Non, non, sécurité ! Il était partout, guettant, Testant les attaches pour voir si la toile n'allait pas tomber Vérifiant les issues de secours, regardant si les passages étaient bien dégagés Il courait derrière la machine à fumée espérant peut-être un drame Mais la machine à fumée était réglementaire Rien à dire Rien à cirer Evidement, personne ne lui avait signalé qu'à un moment on allume une bougie dans le spectacle pour lancer une poudre qui fait des étincelles en brûlant Scandale Le vieux black nous l'a joué Shakespearienne. Drame ! Trahison ! Honte à vous, salopards de Français (Fraaannnçais !) Pour faire passer la pilule, il a fallu être piteux, s'excuser, jouer la carte du remord profond On ne recommencera plus Juré Promis. Le lendemain, la commission, c'était une jeune femme très sympathique, très welcome U.S.A., mais elle n'a rien demandé à personne Pas le plus petit reproche Pas la moindre petite excuse Pendant la représentation elle était tout à fait absente... Dommage. Le Wagner a fait un triomphe A la fin du spectacle Pendant trois minutes On était les rois du pétrole Autant dire les rois du monde Autant dire que trois minutes c'est court. Comme la jauge du Wagner est réduite Les organisateurs alternent souvent les représentations de « La Tétralogie de 4 sous » avec des interventions de rue (« La Baronnade ») pour toucher le plus grand nombre. Nous, dans l'ensemble, ça nous agace car on préférerait jouer le Wagner, rien que le Wagner Mais c'est du business, du pognon, la loi du marché et notre grand maître à tous en ce domaine est plus à l'aise pour vendre le Wagner de cette manière Alors on râle et puis on joue C'est donc en jouant en ville que nous avons découvert que les rues de Newhaven sont, la plupart du temps, désertes... Pendant une « Baronnade », les gens du public sont sans cesse sollicités pour chanter avec nous C'est ainsi qu'on dégote toujours un Chinois pour reprendre un air de l'opéra de pékin Des fans de Mozart pour se prendre pour Papageno ou Papagena... On trouve même des Wagnériens qui connaissent la Tétralogie... En plus, on prépare un final avec une chorale qui chante avec nous un air de Wagner Ca marche super Les gens sont sur le cul et en général personne n'y comprend rien Mais là, on avait un public d'habitués qui vont voir tous les spectacles du festival 20 personnes environ Quelques passants (3 ou 4 badauds dont 2 clochards au bout du rouleau) Et puis la chorale qui, pour le coup, constituait 60 % de notre auditoire. Too much D'autant plus que l'on a joué ainsi à cinq ou six reprises et, chaque fois, c'était les mêmes spectateurs, la même chorale, les mêmes Grooms... Pour l'effet de surprise, on était marron Mais bon, le Ricain est bon enfant et avec un coup de gaudriole et quelques morceaux bien choisis on te les a mis minables Vive la France (dire : la Fraaaance). Outre les rues désertes On a joué dans des cours avec le bruit des climatisations qui turbinaient à fond Dans un parc, genre c'est pas Woodstock mais l'organisation aurait bien voulu On a été le clou du festival On a assuré à mort lors de la cérémonie de clôture (manière Jeux Olympiques de mon quartier) en jouant « La musique à papa », célèbre pochade musicale qui fait pouët pouët youpla boum Et re : vive la France (la Fraaaance non d'un chien !). Un triomphe ! Quand on va aux USA, on a du succès. C'est comme ça On a même eu notre fan club Un vrai Fan club style U.S. Il était composé d'une femme toujours la même qui est venue nous voir 10 fois sur 11 possibles Pas possible ! Si c'est possible !! Elle venait avec son mari Avec ses enfants Avec sa sœur Avec le chien de sa sœur C'est la première fois qu'un chien a joué de la trompette avec les Grooms Moment émotion. Le jour de la dernière Elle est venue nous faire ses adieux à l'Hôtel Elle pleurait presque un peu. On n'avait jamais eu une spectatrice si fidèle C'était touchant On avait l'impression d'être toute sa vie Oui mais voilà « Toute sa vie » devait rentrer au bercail... Laisser sur place le fan club Le succès La gloire La vie facile Abandonner les gentils américains (blancs, middle class, hostiles à la guerre en Irak) qui adorent les Grooms Et les méchants américains (noirs, porto-ricains, pauvres et drogués, favorables à la guerre en Irak) qui adorent les Grooms aussi. Cette vision sympathique des U.S.A. est déroutante Heureusement, quand on rentre à Paris, on retrouve à la une des journaux l'Amérique telle qu'on l'imaginait Détestable, intolérante, oppressante George junior redevient le maître impitoyable de l'Univers Le dollar est à nouveau la cause de tous les maux Les athlètes U.S. sont à nouveaux tous dopés Ouf On respire Welcome in France Terre d'accueil Mère patrie des droits de l'homme Capitale mondiale de la modestie. Laurent Searle, novembre 2003. |